J’ai lu donc vous allez lire- première édition
Salut,
Après avoir été frappé par le syndrome de la page blanche, je me suis demandé comment combiner mon côté bavarde, mon amour pour la lecture et mon blog. Alors, j’ai eu l’idée de lancer une nouvelle série d’articles : j’ai lu, donc vous allez lire.
L’idée est simple : j’ai lu, donc à travers moi, vous lirez. Du moins, vous lirez ce que je pense de certains ouvrages, les réflexions qu’ils m’ont inspirées, et peut être, vous aurez envie de les lire à votre tour.
Un livre de la littérature postcoloniale pour bien débuter
Pour inaugurer cette série, j’ai choisi le livre Décoloniser l’esprit, écrit par l’auteur kenyan Ngũgĩ wa Thiong'o. Cet essai s’inscrit dans le courant de la « postcolonialité ». Ce terme désigne la littérature produite par les anciens colonisés et qui interroge «l’après» colonisation.
J’ai choisi ce livre parce que les thèmes qu’il aborde font écho à de nombreuses discussions que j’ai eues avec des proches. Je me suis dit que si ce débat intéresse mes amis, il est probable qu’il passionne aussi celles et ceux qui me lisent. De plus, la question de la langue et de l’identité dans l’étude de l’Afrique contemporaine est passionnante et très actuelle.
Dans Décoloniser l’esprit, Ngũgĩ wa Thiong'o expose sa position par rapport à ces enjeux. C’est donc avec cet essai engagé que je commence la première édition de J’ai lu, donc vous allez lire.
Connaître la vie de l’auteur pour comprendre sa pensée
Ngũgĩ wa Thiong'o est né en 1938 au Kenya, pendant la colonisation britannique. Il est issu d’une famille paysanne pauvre et a grandi loin de l’élite coloniale urbaine. Cette position influence notamment son rapport critique avec tout ce qui touche à la colonisation et aux élites.
Le propos de Décoloniser l’esprit est également inspiré par sa position de linguiste et d’écrivain. En effet, en interrogeant son usage de l'anglais -dans ses écrits et dans sa vie quotidienne- il ouvre un débat plus large sur l’usage des langues coloniales par les Africains.
Il présente Décoloniser l’esprit (1986) comme son adieu à la littérature anglophone. Depuis, tous ses romans sont parus en Kikuyu ou en Kiswahili, puis traduits dans d’autres langues.
Le choix d’écrire en kikuyu est un geste politique fort. Le kikuyu est la langue maternelle des paysans à l’origine de la révolte des Mau Mau au Kenya (1952-56), ainsi que celle de l’auteur. Ainsi, écrire en kikuyu est très symbolique : d’une part, il se révolte contre l’aliénation culturelle instaurée par les colons; d’autre part, il perpétue la mémoire des Mau Mau qui ont combattu pour préserver leur culture.
Maintenant que le contexte de l’auteur est posé, je peux partager les réflexions que cette lecture a éveillées en moi.
Mes réflexions et mon avis critique
Qu’est-ce que la littérature africaine ?
J’ai toujours considéré la littérature africaine comme celle écrite par des auteurs africains. Pourtant, Ngũgĩ wa Thiong'o montre que cette définition est loin d’être évidente. Elle soulève de vraies questions : que fait-on des écrivains africains dont les œuvres ne parlent pas de l’Afrique ? Et à l’inverse, un auteur occidental qui écrit sur l’Afrique est-il exclu de cette catégorie ? J’ai compris que cette catégorie est tellement vague. Elle inclut tellement de genres littéraires, qu’elle peut cloisonner les écrivains.
A mon sens, l’appellation littérature africaine est une étiquette qui tend à gommer les nuances, les subtilités des thèmes abordés, et des genres qu’on retrouve sur le continent. Par exemple, un roman algérien et un poème de griots n’ont en commun que « l’origine africaine » des auteurs (et encore).
Selon l’auteur, la littérature africaine est la littérature produite en langues africaines (C"est une définition cohérente). J’adhère à la position de Ngũgĩ wa Thiong'o. En effet, comment peut-on parler de littérature africaine si les auteurs n’écrivent pas en langues africaines, mais occidentales ? Cette appellation revient à nier l'existence d’une littérature africaine indépendante de l’Occident.
Toutefois, la question demeure : quel nom donner aux œuvres littéraires produites par les africains, en langues occidentales ? et comment faire en sorte que ce nom ne devienne pas une case qui les enferme ?
Pour une valorisation des langues africaines
L’auteur est assez critique d’écrivains comme Senghor. Ce dernier était attaché à valoriser le français. De plus, il considérait la langue française comme un vecteur d’unité, dans un contexte où ,à cause de la colonisation, les citoyens d’un même pays parlent des langues complètement différentes. Pour résumer l’opinion de Ngũgĩ wa Thiong'o sur Senghor, ce dernier aurait dû mettre la même énergie à sauvegarder la langue française qu’à développer sa langue maternelle. On sent une ironie mordante quand Ngũgĩ évoque Senghor, comme lorsqu’il suggère qu’il a été récompensé pour ses "loyaux services" en intégrant l'Académie. Le ton est piquant et presque moqueur — au point qu’on imagine l’auteur sourire en coin. Cela aurait été moins insultant de directement qualifier Senghor de nègre de maison d’ailleurs.
Je ne suis pas forcément d'accord avec la critique sur Senghor. De même, on ne peut pas nier que le français et l'anglais sont des "langues-tampons". Malgré tout, l'auteur rejette l'idée que les langues coloniales sont indispensables pour créer de la cohésion dans l’Afrique postcoloniale. Selon lui, cet argument perpétue une forme d'aliénation culturelle, en éloignant les peuples africains de leurs langues maternelles et, par conséquent, de leur identité culturelle. De plus, cela serait une conception coloniale qui alimente la croyance selon laquelle l’Afrique aurait besoin de l’Occident.
Position réflexive sur moi-même
L’auteur critique vivement l’élite africaine éduquée dans les langues occidentales et souvent déconnectée des réalités linguistiques des masses populaires. Cette critique m’a énormément marquée parce que mon entourage et moi faisons partie de cette élite. Je suis née en France, j’ai fréquenté les écoles françaises et je poursuis un cursus universitaire très français (j’étais en prépa littéraire).
Mais, maintenant que j’ai lu cet essai, je me rends compte que mon attachement au français est surtout le fruit de mon parcours et de mon environnement. Si l’on posait la même question à un Camerounais vivant dans un village reculé comme Ngomedzap, il est probable que le français ne suscite chez lui ni passion ni rejet , juste de l’indifférence.
En revanche, qu’on le veuille ou non, la colonisation a provoqué un métissage culturel. Certes, une partie des populations africaines sont détachées du français, de l'anglais. Toutefois, d'autres se sont approprié cette langue. Je pense que ce n’est pas dichotomique d’aimer le français et d’être attaché à ses langues maternelles et cela ne fait pas de toi « un nègre de maison ».
Par ailleurs, les langues traditionnelles ne sont pas des langues moins prestigieuses. Être éloquent en Yambassa, en Douala, en kiswhahili et pas en français ou en anglais ne fait pas de toi un analphabète. Il faut enlever le stigmate qui pèse sur les langues africaines et se rendre compte que l'intelligence n’est pas mesurée par la maîtrise des langues occidentales. Nos langues traditionnelles sont le reflet de notre culture et de nos valeurs. On doit leur accorder plus d’importance, pas seulement sur le plan littéraire, mais aussi politique.
Dans une Afrique complètement libérée de l’aliénation culturelle, cela ne devrait pas être une évidence pour les auteurs de s’exprimer en français ou en anglais. On pourrait totalement envisager un futur où des romans en yoruba seraient traduits en féfé, puis en langues occidentales.
En somme, pour que nos langues prennent de la valeur, on doit leur accorder de l’importance en tant qu’Africain. Apprendre à parler sa langue maternelle, d’autres langues africaines, écrire dans nos langues, c’est accroître le nombre de locuteurs et par conséquent, leur importance littéraire et internationale.
Ce que je retiens de cet essai c’est que décoloniser l’esprit c’est comprendre que les effets de la colonisation sont encore perceptibles dans les sociétés africaines.
Voilà,
J’espère que cet article vous a plu, n’hésitez pas à me donner votre avis sur l’article et à me dire ce que vous avez pensé de mes arguments.
N’hésitez pas à me suggérer des sujets que vous voulez que j’aborde ou des ouvrages que vous voulez que je lise, je le ferai avec plaisir.
J’ai hâte de partager plus.
B.
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